Quels sont les enseignements de ces premiers travaux ? Sur quels modèles s’appuyer pour simuler la sinistralité à 2050 et développer son propre modèle ? Enfin, quelles sont les prochaines étapes fixées par le régulateur et comment s’y préparer ? Pour répondre à ces questions, ce webinar a réuni Laurent Montador, Directeur général adjoint de la CCR, Pierre Thérond, Actuaire et Directeur associé de SeaBird, Antoine Badillet, Actuaire et manager chez SeaBird et Benjamin Silva, Actuaire et consultant.
Exercice climatique ACPR : origines et contexte
L’exercice climatique de l’ACPR s’inscrit dans un mouvement engagé depuis plusieurs années, et notamment depuis les années 2000 aussi bien en France qu’à l’international. Les initiatives qui ont été prises visent tout particulièrement à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), qu’il s’agisse du Grenelle de l’environnement en France en 2007 ou de l’Accord de Paris de 2015 par lequel 196 pays prennent date pour atteindre le net zéro émission de carbone à l’horizon 2050. La même année est votée la loi sur la transition énergétique dont l’article 173 impose aux assureurs une obligation de transparence sur leurs politiques d’investissement et de gestion des risques liés au changement climatique.
Quatre ans plus tard, l’ACPR réalise un suivi de la mise en place de cet article dans le rapport 102-2019, qui distingue trois types de risques : les risques physiques, les risques de transition et les risques de responsabilité (juridiques et de réputation), liés aux impacts financiers des demandes de compensation de la part de ceux qui subissent des dommages dus au changement climatique.
Le premier exercice pilote que vient de conclure l’ACPR s’est attaché à ces deux premiers risques, donnant lieu à des travaux à l’actif et au passif. Preuve que ces enjeux sont désormais rentrés dans les préoccupations des organismes financiers, l’industrie a répondu présente : 9 groupes bancaires et 15 groupes d’assurances, représentant 85% du total des bilans bancaires et 75% du total du bilan et des provisions techniques des assureurs, ont participé à l’exercice.
Exercice climatique ACPR : résultats à l’actif
Dans le cadre de ces premiers travaux, l’ACPR a demandé de tester plusieurs scénarios. A l’actif, les trois scénarios considérés ont tous pour objectif le net zéro émission en 2050, mais avec des trajectoires de hausse du prix de la taxe carbone différentes. A chacun de ces trois scénarios correspondent des hypothèses de chômage, de croissance (PIB), d’inflation et d’évolution de la valeur des actifs (obligations et actions).
L’impact sur la partie Actif est limité, pour deux raisons principales :
- Un choc de transition modéré, avec une grande stabilité de l’allocation des actifs ;
- Une baisse de valeur des industries émettrices marquée sur les actions mais un impact général qui reste faible puisque l’exposition à ces actifs représente au maximum 15% du portefeuille et que la part des actions dans l’actif des assureurs est faible.
Cet exercice a soulevé un certain nombre de critiques qu’il faudra prendre en compte lors des prochains travaux.
Le périmètre de simulation sur cette partie Actif devrait être élargi. Pour ce premier exercice en particulier, l’immobilier n’a fait l’objet d’aucune simulation, alors même qu’il constitue une part non négligeable des actifs des assureurs.
Tout comme l’avait noté le régulateur néerlandais pour son exercice pilote, les actifs identifiés comme à risque restent difficiles à évaluer, et des travaux complémentaires sur ce point seront nécessaires. En effet, il est légitime de s’interroger sur l’impact du réchauffement climatique sur d’autres industries que les extractions et mines : le tourisme et les transports seront par exemple certainement impactés plus fortement que ne le laisse penser le modèle actuel.
Enfin, il ne faut pas laisser de côté la réforme en cours du régime des catastrophes naturelles, qui aura un impact significatif sur la sinistralité, et cela à un horizon de temps très court. Cette hausse de charge n’est pour l’instant pas prise en compte dans les estimations, d’autant que les assureurs ont fait le choix de reporter intégralement la hausse de la sinistralité sur les assurés. Ce point est problématique, puisque rien ne dit que les assurés accepteront facilement une hausse importante des primes d’assurance.
Exercice climatique ACPR : résultats au Passif
Les travaux au Passif concernent le risque physique, et s’appuient sur le scénario RCP 8.5 du GIEC, qui est le scénario du pire mais aussi celui qui a aujourd’hui le plus de probabilité de se réaliser.
L’ACPR a demandé aux assureurs de simuler, sur la base de leurs expositions, la sinistralité pour les principaux risques (inondations, sécheresse etc…) à l’horizon 2050.
Ces travaux peuvent être complexes à mettre en place. Une première option consiste donc à s’appuyer sur le modèle prédictif développé conjointement par la CCR et Météo-France.
Si toutefois l’assureur souhaite développer ses propres modèles, un simulateur prédictif de fréquence sur la base de données climatiques open source a été construit par SeaBird, fondé sur la projection du nombre de reconnaissances CATNAT en France métropolitaine. Des analyses spatiales et statistiques ont été réalisées ainsi qu’un choix du modèle de régression minimisant les erreurs.
Découvrez l’étude « Risque climatique : comment modéliser la sinistralité à l’horizon 2050 ? »
A noter que plusieurs axes de développement sont actuellement à l’étude dans le modèle SeaBird, avec le passage à un modèle linéaire généralisé pour la fréquence et une meilleure prise en compte de la sévérité sur la base de sinistralités historiques au regard des récentes évolutions climatiques.
Les résultats présentés lors du webinar montrent déjà les premiers effets du changement climatique à l’horizon 2050 avec une augmentation du nombre de reconnaissances CATNAT évaluée entre 33% et 58% selon le scénario RCP8.5 du GIEC. Chaque modèle étant unique, chacun fait entrer des incertitudes et des biais d’estimation. Il peut ainsi y avoir de très fortes disparités entre modèles.
Exercice climatique ACPR : l’avis de la CCR
La CCR a créé des modèles de projection de climat en lien avec Météo France. Ils permettent de projeter des portefeuilles actuels et futurs en accord avec les mouvements et accroissements de population notamment dans les zones littorales, tout en recherchant les différents ajustements de primes à opérer dans les années futures. Les travaux avec le scénario RCP 8.5 montrent que les seuils fixés à +2°C de température moyenne en 2050 par l’Accord de Paris sont tout à fait atteignables. Cette augmentation de 2°C peut paraître négligeable mais elle affecterait fortement les pôles ainsi que le niveau de la mer. Une grosse partie de la chimie à l’échelle du globe serait transformée, ce qui génère des questions quant à l’assurabilité et la réassurabilité.
Avec une augmentation évaluée entre 1,5 et 2 fois la sinistralité en 2050, la France n’est pas la plus touchée, d’autres pays risquent de subir des augmentations à plus de 10 à 15 fois la sinistralité. Cet exercice a notamment permis de faire prendre conscience aux assureurs des travaux futurs à mener.
L’horizon 2050 conduit à faire des hypothèses sur différents comportements (d’assurés, d’augmentation des primes). Être près du bord de mer constituera par exemple un élément de dévalorisation du foncier à l’avenir.
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En somme, cet exercice a atteint ses buts, puisque les assureurs ont pris conscience que le réchauffement avait des impacts significatifs et quantifiables. Les assureurs ont même la possibilité, via l’allocation de l’actifs, d’accompagner la transition énergétique en privilégiant les industries peu carbonées. Si certes le réchauffement des prochaines années semble maintenant inéluctable, il s’agit pour le secteur de l’assurance de dès maintenant tout mettre en œuvre pour accompagner le basculement vers une économie bas carbone.