Depuis la Loi PACTE du 22 mai 2019, un nouveau produit d’investissement a fait son apparition dans les contrats d’assurance vie : les actifs numériques. Pourtant, l’épargnant français n’a pas aujourd’hui la possibilité d’investir dans cette nouvelle classe d’actifs. Tout simplement parce que l’offre est inexistante. Malgré les risques inhérents, les actifs numériques sont-ils une catégorie d’UC sous-utilisée au vu de leur potentiel ? L’Europe va-t-elle leur donner un nouveau coup de pouce ?
Cet article a été co-écrit avec Aramis, société d’avocats, notre partenaire du LabUC.
1. Les actifs numériques, un moyen de diversification des portefeuilles d’assurance vie encore peu utilisé
Le succès de Ledger (licorne française) et de Coinhouse (levée de 15 millions d’euros en série B en janvier dernier) est éclairant : les actifs numériques trouvent leur public. Largement plébiscités par les jeunes générations, ils peinent pourtant à émerger sur le marché de l’assurance vie. Ce qui fait leur succès est tout autant un frein à leur développement dans ce type de contrat : leur forte volatilité. Le niveau de rendement de cette classe d’actifs semble parfois sans limite. Equilibrer le rapport risque/rendement est un exercice périlleux dans lequel peu d’acteurs se sont aventurés.
L’exemple de TOBAM
La société de gestion indépendante TOBAM obtient l’aval de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour lancer en novembre 2017 le premier fonds ouvert Tobam Bitcoin CO2 Offset fund. Investi 100% en bitcoins, il s’agit d’un Fonds Professionnel Spécialisé (FPS) réservé aux investisseurs qualifiés. Une initiative restée unique jusqu’à ce que les Etats Unis et le Canada se positionnent sur ce nouveau marché, via des fonds ETF indexés sur le bitcoin, à partir de 2020.
Quatre ans plus tard, TOBAM lance Tobam BTC-Linked and blockchain equity, le premier fonds français éligible aux contrats d’assurance vie et destiné cette fois au grand public. Ce fonds, qui fait partie des fonds d’investissement à vocation générale (FIVG), alloue jusqu’à 10 % de ses actifs au bitcoin.
L’opportunité de moderniser la gestion collective
A la suite du superviseur, le législateur français a ouvert la porte à ces actifs innovants. La loi PACTE de 2019 a modernisé le cadre juridique de la gestion collective. Elle permet à certains fonds d’investissement alternatifs (FIA) par nature – les FPS et les fonds professionnels de capital investissement (FPCI) – d’investir dans ces actifs numériques, soit en participant à des levées de fonds en jetons (ICO), soit en ajoutant à la liste des unités de comptes éligibles des parts ou actions de ces fonds. Ces supports offrent ainsi une exposition indirecte à des actifs numériques, au sein de contrats d’assurance vie. Avant cette réforme, les actifs numériques n’étaient pas éligibles à l’actif d’un FPS, faute de satisfaire la condition relative à la propriété posée par l’article 214-154 du Code monétaire et financier.
2. Quels enjeux et perspectives pour l’assureur qui cherche à intégrer des actifs numériques à son offre ?
De nouveaux produits pour une nouvelle clientèle
Les enjeux sont multiples pour les assureurs qui chercheraient à intégrer des actifs numériques dans leurs produits.
Premier enjeu : le ciblage. A quelle population l’assureur doit-il s’adresser ? et, quel canal de distribution privilégier ? Instinctivement, internet apparaît comme la meilleure manière de proposer ses services aux plus jeunes générations d’investisseurs, particulièrement intéressées par les actifs numériques.
Le deuxième enjeu est lié aux spécificités d’un produit d’assurance vie constitué d’actifs numériques. Les questions de liquidité, de couverture de risque et de protection du capital sont autant d’éléments complexes pour les équipes d’ingénierie financière. D’autant plus que de cette structuration va découler la rentabilité du produit : élément primordial dans la décision d’investissement.
Le troisième enjeu concerne le data providing et se rapproche de ce qui est observable sur le private equity. Il est difficile d’obtenir des informations relatives aux fonds et aux sociétés émettrices de jetons. La faiblesse des volumes de transactions ne pousse pas les acteurs traditionnels à s’équiper pour répondre à ce besoin, ni les acteurs plus spécialisés à proposer une solution. En l’état, l’assureur devrait mener son propre travail de due diligence des fonds comportant des actifs numériques, jusqu’aux sociétés émettrices, le cas échéant.
Une chaîne de valeur modulée
Les changements induits par l’intégration d’une nouvelle classe d’actifs dans les produits d’assurance vie supposent que l’assureur adapte sa chaîne de valeur opérationnelle. A commencer par la politique de référencement. Il sera probablement nécessaire de l’ajuster afin d’accueillir les caractéristiques des fonds en actifs numériques : quelle fréquence de cotation accepter ? Pour quel minimum de souscription ? Quels sont les émetteurs d’actifs numériques et Prestataire de Services sur Actifs Numériques (PSAN) admissibles ? Une bonne compréhension des risques liés aux actifs numériques est indispensable pour répondre à ces questions.
Plus en aval dans la chaîne, le mécanisme de passage d’ordres s’en trouve également affecté. L’assureur devra cartographier les dépositaires positionnés sur cette classe d’actifs et idéalement obtenir une vision du marché : dans quel délai, et surtout à quel coût, les ordres pourront-ils être passés ?
Au-delà de ces changements, un virage stratégique et novateur pourrait être pris par l’assureur. C’est l’occasion pour lui de se positionner sur la structuration des supports comportant des actifs numériques, jusqu’ici réalisée par les asset managers. Quel assureur acceptera de prendre le risque en assumant la responsabilité d’émetteur et se positionnera en tant que pionnier sur le marché ?
Au même titre que le transfert des fonds euros vers des supports en unités de compte, la chaîne de valeur ne sera modifiée que si l’investissement dans les actifs numériques prend suffisamment d’ampleur.
De nouvelles perspectives
En France : une impulsion soutenue par le Comité Paris EUROPLACE
Le Comité Paris EUROPLACE « Finance numérique et cas d’usage » a livré le 25 mars ses recommandations pour accélérer l’adoption de ces nouveaux actifs. Il invite à « capitaliser sur le leadership français et européen pour permettre aux investisseurs de bénéficier du savoir-faire de professionnels régulés et experts de la gestion du risque ». Parmi les recommandations du Comité, on retient l’invitation à :
- « Banaliser la forme « token » des instruments financiers, des parts d’organismes de placements collectifs ou autres produits/services par la réglementation européenne ;
- Amorcer les réflexions nécessaires à la forme « tokenisée » des organismes de placements collectifs avec tous les bénéfices que cette forme offre ;
- Encourager l’inclusion de crypto actifs dans certains types de fonds et dans les contrats d’assurance vie permis par la loi PACTE, et offrir ainsi une alternative à l’achat en direct de crypto actifs ;
- Agir afin que les réglementations européennes actuelles adaptent les définitions et responsabilités des conservateurs, teneurs de registre, dépositaires dans le cadre de blockchains. »
Au-delà des enjeux d’attractivité des offres futures à proposer par les acteurs de l’Assurance vie, il s’agit ainsi bien d’un enjeu de compétitivité tant de la place de Paris que de l’Europe.
En Europe : des évolutions à venir avec le Règlement MiCA
Le Parlement européen discute actuellement, avec quelques mois de retard, le projet de règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), qui a vocation à favoriser l’innovation et la concurrence dans le secteur des actifs numériques, tout en maîtrisant les risques associés.
Ce projet de règlement entend réglementer davantage les acteurs du marché des crypto actifs que ces actifs en tant que tels. A bien des égards, il s’inspire ainsi largement du dispositif instauré par la loi PACTE, en encadrant notamment l’activité des prestataires, ici les Crypto Assets Service Providers (CASPs).
Il va également au-delà sur certains sujets. Il propose par exemple un cadre synonyme de contraintes à l’émission de cryptomonnaies, précédée d’un white paper, là où le régime français était resté muet.
En étendant le champ de la supervision, ce règlement devrait être de nature à rassurer les acteurs de l’assurance vie, qui bénéficieront d’un cadre harmonisé en Europe, facilitant le sourcing et la comparaison d’offres.
En revanche, plusieurs actifs demeurent, à ce stade de son élaboration, hors du champ du Règlement MiCA :
- Les instruments financiers « tokenisés », qui ont vocation à demeurer dans le champ de la directive MIFID ;
- Les NFT (Non Fungible Tokens).
Ces derniers sont des actifs numériques au sens technique du terme. Ils ne sont cependant pas traités comme tels par la loi PACTE ni par ledit Règlement MiCA, du fait de leur caractère non fongible. Leurs différentes formes (artistiques, collectables…) et les émetteurs et plateformes attirent aujourd’hui nombre d’investisseurs mais l’absence de cadre règlementaire les rend, à ce stade, inaccessibles aux acteurs de l’assurance vie.
Cette qualification a néanmoins fait l’objet de discussions spécifiques en mars 2022 dans le cadre des discussions du Règlement MiCA, qui pourrait évoluer et ouvrir de nouvelles perspectives au marché des acteurs de la finance de marché, dont ceux de l’assurance vie.
Cet article a été co-écrit avec Aramis, société d’avocats, notre partenaire du LabUC.