Des incursions ciblées | Un marché peu favorable aux nouveaux entrants | Partenaires stratégiques
Les GAFAM fournissent des solutions informatiques (hardware, software, infrastructure cloud…) soutenant leur stratégie de captation et d’exploitation de données. La compétence-clé expliquant le développement de ces géants du digital réside dans le traitement de data qui autorise le déploiement de leurs modèles économiques fondés sur leurs capacités de prescription aux utilisateurs. Cette compétence-clé est analogue à celle des actuaires qui, à partir de séries statistiques, évaluent les risques et les besoins en couverture associés. De quoi inciter les assureurs à considérer avec sérieux la menace d’une disruption. Pourtant, les GAFAM se montrent pour le moment peu actifs sur ce marché, et leurs incursions se bornent généralement à quelques prises de participation ciblées autour d’usages en synergie avec leurs propres priorités stratégiques.
GAFAM dans l’Assurance : des incursions ciblées
Les GAFAM n’ont pas – loin de là – investi tous les pans de l’offre assurantielle B–to–C, et se cantonnent à certains segments, notamment la santé.
Les géants américains de la data montrent une appétence particulière pour les solutions de médecine digitale (medtech) qui exploitent les données utilisateurs recueillis via différents canaux (smartphones, application de quantified self, bracelets connectés comme Fitbit…) et aboutissent parfois à des projets d’assurance santé. Amazon avait ainsi créé, avec Berkshire Hathaway, la société d’investissement de Warren Buffett, et la banque JP Morgan, une coentreprise baptisée Haven, pour fournir à leurs salariés des solutions d’assurance santé personnalisées basée sur l’usage des data. Cette initiative ambitieuse a été stoppée en janvier 2021, après à peine trois ans d’existence.
De son côté, Apple a noué un partenariat avec Aetna, un assureur américain qui développe une offre d’assurance santé individualisée qui repose sur le recueil des données de l’Apple Watch. Google se montre lui aussi très actif dans la medtech (projet de médecine prédictive Streams conduit par la filiale DeepMind, projet Baseline de Verily pour la personnalisation des traitements) et l’assurance santé : la firme de Mountain View a investi en 2019 dans Clover Health, une solution d’assurance santé qui s’appuie sur l’analyse préventive de données pour offrir une couverture santé ciblant les seniors.
Amazon soutient plusieurs projets sur le segment IARD, qu’il conçoit comme une extension de service soulignant certaines de ses offres. L’entreprise de Jeff Bezos a ainsi investi dans l’insurtech indienne Acko et propose les solutions d’assurance à la demande de cette dernière en marque grise sur sa marketplace. Le recours à la marque grise permet également de proposer le service Amazon Protect – une solution d’assurance des articles électroniques distribués sur la plateforme et produite par la London General Insurance Company.
La présence de Google sur certains usages et produits assurantiels est renforcée par la stratégie d’investissement de sa maison-mère, Alphabet, qui finance de nombreux projets assurtechs. Les néoassurances Oscar Health et Lemonade, les comparateurs-courtiers Young Alfred et Openly ou encore le chatbot dédié aux assureurs Claimbot comptent le groupe Alphabet parmi leurs actionnaires. Ces investissements sont financièrement significatifs, et pourraient à ce titre indiquer un intérêt particulier de Google pour le secteur de l’assurance. Ils semblent néanmoins s’expliquer davantage par la stratégie de réinvestissement massif des bénéfices du géant californien que par une stratégie sectorielle aux contours bien définis.
GAFAM dans l’Assurance : un marché peu favorable aux nouveaux entrants
Si les incursions des GAFAM apparaissent si erratiques sur secteur de l’assurance, c’est que celui-ci n’offre guère de prises aux nouveaux entrants. D’abord le marché offre une rentabilité relativement faible par rapport aux standards de la tech, comme le fait remarquer l’universitaire Arthur Charpentier. À l’exception notable d’Amazon, les géants de la tech présentent des performances économiques nettement supérieures à celles des assureurs.
Rendements des capitaux propres et marges nettes de quelques assureurs et des GAFAM (2019)
Mais ce constat ne doit pas occulter les autres barrières à l’entrée du secteur assurantiel : barrières réglementaires très contraignantes (normes de solvabilité, de gouvernance, de conformité, d’éligibilité des dirigeants…), besoins très importants en capitaux pour réaliser une faible marge en fin d’exercice, barrière des compétences (notamment la gestion des événements rares pour laquelle les données à la disposition des GAFAM n’ont pas d’utilité).
Certaines caractéristiques structurelles du secteur de l’assurance renforcent les difficultés à y entrer : taux de rétention des clients très élevé, distribution de produits à très faible fréquence d’événements, très peu de contacts avec l’usager (la reconduction annuelle tacite des contrats est la norme). En outre, la base de l’activité d’assurance, la mutualisation des risques, joue en faveur des portefeuilles de clients déjà constitués. Enfin, la crédibilité et la confiance entretenue entre assureurs et assurés fait défaut aux GAFAM, régulièrement mis à l’index au sujet de leur utilisation des données personnelles.
Par ailleurs, le secteur de l’assurance se révèle d’autant plus difficile à pénétrer qu’il se recompose rapidement autour de nouveaux canaux, métiers ou expertises. Les assureurs français ont par exemple initié la distribution de leur offre en ligne il y a plus de vingt ans, tentent avec des fortunes diverses de mieux maîtriser leurs risques en intégrant des réassureurs (accord entre Covea et Exor, rachat de XL Group par Axa), tandis que les parcours de formation des actuaires intègrent depuis longtemps les data science…
Enfin, les assureurs, au même titre que les banques, ont un rôle à jouer comme vecteurs ou relais des politiques économiques. Dans des activités très réglementées et systémiques, il semble peu probable que les Etats et les autorités prudentielles facilitent un développement significatif des GAFAM.
GAFAM dans l’Assurance : des partenaires stratégiques
Si l’entrée frontale des acteurs de l’économie digitale sur le marché de l’assurance reste difficile, les géants de la tech semblent en revanche voués à jouer un rôle croissant comme fournisseurs d’infrastructures digitales et facilitateurs de projets.
Microsoft Azure et Amazon AWS comptent parmi les fournisseurs incontournables des acteurs de l’assurance en matière de cloud public et mettent en avant leurs collaborations avec Allianz ou Willis Towers Watson pour le premier, avec AXA, AON, Guardian Life et HDFC pour le second. Ces acteurs s’appuient sur le cloud public pour moderniser leurs process et leurs outils, mais doivent dans le même temps s’assurer que les informations sensibles ne transitent pas par leurs prestataires d’Infrastructure as a Service au risque de voir ses derniers s’arroger une partie de leur expertise technique.
Ce jeu est d’autant plus complexe que les géants de la tech partagent des intérêts communs avec les assureurs comme la structuration l’open insuring ou le développement des solutions d’assurance de demain. Microsoft a ainsi contracté deux importantes alliances : avec Syncier (plateforme d’insurance as a service d’Allianz) afin d’accélérer la documentation et la mise à disposition de ses API, et avec Swiss Re pour la création d’un Digital Market Center explorant les sujets des véhicules connectés, de la mobilité, de l’industrie 4.0 ou encore de la résilience face aux catastrophes naturelles.
L’assurance ne semble pas à court terme devoir craindre la concurrence frontale des GAFAM qui semblent s’accommoder d’un rôle de fournisseur partenaire des assureurs : la structuration spécifique du marché et des marges bénéficiaires limitées découragent pour l’instant les nouveaux entrants. Cette situation évoluera à la faveur du développement de nouveaux modèles d’affaire que préfigurent peut-être les offres d’assurances à la demande ou de pair-à-pair. L’apprentissage emmagasiné par certains GAFAM comme prestataires de service cloud des assureurs (Microsoft, Amazon et dans une moindre mesure Google) pourrait également concourir à la mutation du marché.