Les assureurs vie et mutualistes ont constaté dans leurs bilans 2019 les premiers effets du niveau historiquement bas des taux d’intérêt. Les ratios de solvabilité des principaux assureurs ont subi, par rapports aux clôtures de 2018, une baisse en points considérable, les plus touchés étant naturellement les assureurs vie.
L’année 2019 constitue ainsi un point de rupture dans l’évolution des ratios de solvabilité. Dans son rapport sur la situation des assureurs soumis à Solvabilité 2 en France et au premier semestre 2018, l’ACPR soulignait encore l’évolution positive du ratio de solvabilité moyen, porté principalement par les organismes vie. C’était encore vrai à fin 2018.
Le rupture intervient au premier semestre 2019 : « Le taux moyen de couverture du capital de solvabilité requis (CSR) des assureurs opérant sur le marché français est passé de 240 % à 225 %, entre fin 2018 et fin juin 2019, soit une diminution de 15 points de pourcentage sur la période », souligne l’ACPR dans le rapport de solvabilité portant sur le premier semestre 2019. Et de préciser que « cette diminution est plus marquée pour les organismes vie et mixtes, plus sensibles au contexte de taux bas, dont la solvabilité diminue de 20 points de pourcentage pour s’établir à 205 % au deuxième trimestre 2019 », tandis que le niveau de solvabilité des organismes non vie est resté quant à lui quasiment inchangé à 276 % (- 2 points par rapport à fin 2018).
Renforcement des fonds propres
La première réaction de la place assurantielle vie face à cette baisse du ratio de solvabilité a été de lever des fonds afin de piloter au mieux le bilan et de rassurer le marché tout en profitant de taux bas.
Ainsi, pour contrer la dégradation de son ratio, CNP Assurance a levé 750 M€ en faisant une émission de dette subordonnée RT2 à un taux historiquement bas de 2%. Dans le même registre, on peut noter d’importantes levées de fonds du côté de Suravenir par Arkéa de 540 M€ (recapitalisation ici) ou encore de la mutuelle d’assurance d’AG2R la Mondiale, avec 500 M€ d’émission de dette subordonnée RT1 (Restricted Tier 1) au taux d’intérêt de 4,37%. Les assureurs concernés assurent que ces levées de fonds ne témoignent d’aucune situation d’urgence. Bien au contraire, ces opérations correspondraient à une opportunité de renouvellement de dette subordonnée à un taux historiquement bas.
En effet, les levées de fonds peuvent représenter une bonne occasion pour améliorer la qualité des fonds propres avec des taux attractifs. Ainsi l’émission de dette subordonnée d’AG2R La mondiale lui permet de renforcer son tiers 1 (noyau dur des fonds propres) à un taux historiquement bas. Cette levée de fonds rassure d’autant plus le marché qu’une clause prévoit la suspension du remboursement en cas de capital de solvabilité non respecté.
Face à cette situation inédite, des solutions immédiates ont été trouvées afin d’enrayer la dégradation de la solvabilité. Les levées de fonds ne seront un bouclier efficace que si elles sont utilisées de manière pragmatique. Les dettes de tiers 1 étant plus onéreuses en termes de taux d’intérêt, d’autres solutions peuvent être envisagées. CNP Assurance a ouvert la voie avec une émission de dette entièrement verte RT2 (Tier 2). Certes c’est une RT2 mais son aspect écologique semble séduisant et ouvre la voie à de nouvelles politiques d’investissements.
S’adapter durablement
Pour soulager la contrainte de solvabilité, un arrêté paru le 24 décembre 2019 autorise, sous certaines conditions, les assureurs vie à prendre en compte dans leur ratio de solvabilité la provision pour participation aux bénéfices (PPB). Pour pouvoir utiliser cette provision, l’assureur doit prouver à l’ACPR qu’il est en perte technique sur son dernier exercice comptable et qu’il ne satisfait pas aux conditions de solvabilité requises par Solvabilité 2. Les assureurs doivent aussi présenter aux autorités de contrôle un solide plan sur 8 ans maximum de restitution des provisions utilisées.
Mais plus largement, et malgré la récente remontée des taux (le taux de l’OAT à 10 ans est sorti du territoire négatif depuis novembre), les assureurs doivent s’adapter de manière durable à ce nouvel environnement. Au-delà de la vague de levées de fonds des derniers mois, des inflexions stratégiques se dessinent, notamment pour les acteurs de l’assurance vie : orientation de l’épargne vers les Unités de compte en assurance vie, baisse des rendements des fonds euros et fixation de barrières à l’entrée. Les acteurs IARD envisagent également des mesures car ils ne peuvent plus recourir aux produits financiers pour compenser une dégradation de la sinistralité. Des hausses de tarifs sont ainsi à prévoir.